Le poème pulvérisé (1945-1947)
Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces
tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et
son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu
de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te
sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de
t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront
l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la
sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard,
on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.
Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es
retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre
ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que
tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les
yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...
Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu
plus haut, sans te convaincre?
Il n'y a pas de siège pur.
René Char
Le poème pulvérisé (1945-1947)
Photo © (Photo Dusia Sobol)